Éconduit par Microsoft, fossoyeur de Majesco, Psychonauts aurait pu être un traumatisme incurable pour son créateur, Tim Schafer. L'engouement du public pour les aventures de Razputin "Raz" Aquato, certes un peu long à venir eu égard à des critiques enjouées à sa sortie, a confirmé au père de Grim Fandango et Full Throttle qu'il ne fallait pas baisser les bras, que livrer cette suite largement suggérée et espérée serait bénéfique. Cela aura encore été un périple de 6 ans pour Double Fine, mais au final, Psychonauts 2 devrait doper les hormones du bonheur de tout le monde.
Raz voulait devenir un psychonaute. Ses exploits au camp du Roc-qui-murmure et dans le Rhombe de la Ruine lui ont ouvert cette voie interdite par sa famille. Voici cet enfant de saltimbanques maintenant stagiaire, les yeux pleins d'étoiles alors qu'il découvre le Mégalobe, base de toutes les opérations de ce groupe d'espions de l'esprit - mais l'histoire ne dit pas s'il sera rémunéré en visibilité. Pas question de rêver trop longtemps. Le maître des lieux, Truman Zanotto, dont le kidnapping a été avorté, reste dans le coma. Il faut toujours découvrir qui a cherché à lui nuire, pourquoi, et une fois encore tenter de lever le voile sur une conspiration qui semble remonter à des temps anciens. Pour cela il n'y aura pas trente-six solutions : il va falloir explorer des cerveaux.
Une fois passés les premiers instants aidant à se remettre dans le bain avec un stage de ré-acclimatation "dentesque", Psychonauts 2 révèle sa vraie nature : une suite du jeu de 2005 sans troubles de la mémoire. Rien n'a vraiment bougé par rapport à l'original, et si vous l'avez découvert ou relancé récemment (il est présent dans le Game Pass depuis mai dernier, ne vous privez pas), vous retrouverez vos marques aisément.
Une aventure en dents de Psy ?
Le coeur du jeu demeure l'exploration en gambadant de plate-forme en plate-forme. Pas de surprise ni de bouleversement - hormis pour les environnements dont nous reparlerons plus tard. Vif, réactif, facile à manier, quoiqu'un peu rêche, l'acrobate psychique Raz dispose de la même palette de mouvements, ou presque, avec des sauts pouvant être doublés, des rebonds sur les murs et d'autres galipettes en s'accrochant à des rebords, des trapèzes improvisés, des barres, de la végétation, ou en grindant sur des rails. On n'aurait pas rechigné sur un peu de tolérance face à des imprécisions mineures, parfois dues à un replacement hasardeux de la caméra, ou lorsque le héros trop près d'un rebord choit directement au lieu de tituber un instant pour nous laisser le temps de le rattraper. Similitudes ne veut pas dire gémellité : les moments de frustration, s'ils existent toujours dans l'empressement, sont bien moins nombreux. La blessure du Cirque de la Viande peut se refermer.
Psy, maman, Psy
Bien sûr, parce que l'on incarne un psychonaute, un explorateur de la pensée, on accède à d'autres façons de se mouvoir ou atteindre des zones interdites au commun des mortels. Autrement dit, tout un tas de pouvoirs. La base du premier volet revient avec peu changements. On notera que la Télékinésie se montre par exemple plus amicale et intuitive, avec une automatisation de la préhension et du ciblage, façon Control. Le Tir Psy, la Pyrokinésie, la Lévitation et la Clairvoyance sont là. Et chacun a son rôle à jouer. Il suffit d'attribuer sur une touche de la tranche lorsqu'on le souhaite, sans pression, une pause étant immédiatement appliquée. Sont ajoutées à la mixture trois nouvelles idées : la Connexion Mentale, la Bulle Temporelle et la Projection pour respectivement s'accrocher à des pensées flottantes, ralentir un ennemi ou un objet et créer un double de papier pouvant passer par des entrées fines.
Pour faire le tour de tout ce qu'il y a à dénicher, Dieu sait qu'il faudra faire appel à toutes ces capacités. Et ne surtout pas hésiter à les faire progresser, en améliorant son rang de psychonaute. Les moyens pour monter en niveau sont nombreux mais, pour résumer, il faut principalement mettre le grappin sur des centaines d'items (bribes, trésors, demi-cerveaux, bagages émotionnels...). Passer par la boutique également. Le level design n'essaie pas d'aller défier un Mario en 3D, mais il saura avancer les bons arguments pour vous pousser à ne pas laisser passer le moindre angle mort ou ignorer certains marqueurs. Et l'apport d'un équipement, le syntoniseur de pensées, débloqué en même temps que l'appareil photo, pour faire popper des voies de Connexion Mentale rajoutera une option, tout un comme un plongeon gagné par une quête annexe. Tips : ne négligez pas le saut concentré et n'oubliez pas qu'un bon feu génère un courant ascendant et donc de quoi... s'élever.
Balèze c'est pas la peine quand t'en as dans le cerveau
On n'oubliera pas non plus que ces aptitudes sont employées à d'autres fins. Voyager dans l'inconscient, c'est entrer dans un territoire hostile, rempli de créatures qui rongent la psyché de leur hôte. On se tape souvent. Les censeurs, sous différentes formes, sont rejoints par d'autres types de pensées négatives, comme les explosives Mauvaises Idées, les volants Regrets ou encore les Juges armés de leur marteau et les Facilitateurs, de repoussantes majorettes régénérant et protégeant leurs petits camarades. Plus de variété que dans le premier volet, c'est certain, d'autant qu'il faut jongler entre les pouvoirs en fonction des profils ce qui procure à coup sûr un peu de punch.
Néanmoins, on trouvera quand même la partie action un peu légère. Si ça bouge plus vite, les coups manquent encore d'impact et on se sent souvent victime d'injustice à perdre des points de vie alors même qu'une esquive a été lancée avec succès. Nécessaire pour apporter du rythme, mais probablement jugée secondaire, sauf lors de boss fights globalement amusants, la partie baston peut carrément se voir facilitée à l'extrême voire ignorée dans les paramètres ou à l'aide de badges pas si onéreux - accessibilité, one point. Ce qui tend à démontrer qu'il y a dès le départ une autre intention : laisser tout le monde en profiter au maximum.
Mind Field
Parlons donc un peu de ces "niveaux" dans lesquels Raz trainera ses guêtres. Ce ne sont pas moins de quatre hubs dans le monde réel et treize stages dans le plan astral qui l'attendent. Il y a de la surface à couvrir et découvrir. En long, en large, et en travers. En étant tout le temps aux aguets de ce que l'on peut ramasser - une fois la campagne terminée on peut retourner partout - mais surtout de l'incroyable boulot abattu par Double Fine pour nous embarquer dans des délires assez uniques. Là où la plupart des jeux de plates-formes vous resservent les mondes du feu, de la glace, de l'eau et autres thèmes essorés, Psychonauts 2, comme son aîné, se creuse la cervelle avec des environnements fous.
Quels jeux vous font entrer dans une bouteille géante pour ensuite passer par des cuisines encombrées et terminer sur la pièce montée d'un mariage ? Aller chercher les morceaux d'un esprit malade dans un bowling et un salon de coiffure ? Cuisiner des ingrédients vivant dans un show télévisé ? Mettre en pièces une croisière scénique façon It's a Small World avec un fond politique ? Changer de perspectives, d'angles de vues, de cadres en un claquement de doigts ? Bref, combien tente les mélanges improbables d'idées, le surréalisme et le bizarre de manière aussi brillante, avec une direction artistique et des musiques (entre ambiance de films d'espionnage et envolées à la John Williams) à l'exécution aussi soignée ? Se vivant comme une hallucination polychrome, Psychonauts 2 ne fait rien comme les autres, va dans des directions inattendues, nous surprend souvent, et c'est ce qui plaît.
La vie en Raz
Mix de plate-forme, d'exploration et d'action qu'on pourrait juger classique et un peu trop accommodant (comptez au maximum une quinzaine d'heures pour le boucler, sans vraiment transpirer, en ayant un peu papillonné, et rajoutez cinq tours de cadran supplémentaires pour le 100%), comme son prédécesseur, Psychonauts 2 fait peser un autre aspect dans la balance. Là où la plupart des jeux du genre laissent une petite porte dérobée à la narration, il lui laisse le droit de passer par l'entrée d'un cinoche de Hollywood Boulevard un soir de première. La star, c'est le scénar'. Quand le papa de Day of the Tentacle s'occupe du charbon, le voyage est forcément bon. Le talent de Tim Schafer n'est plus à prouver. Avec ses équipes, il est parvenu à concocter la suite parfaite. Comprenez qu'en plus de lier intimement la progression et le parcours général à son intrigue, il a rendu le tout terriblement charmant, pour ne pas dire irrésistible.
L'univers, aussi foufou soit-il, est cohérent. L'histoire se tient bien. Les personnages sont attachants, les relations que certains entretiennent laissent rêveur. Même des PNJ peu exposés peuvent en une réplique entraîner un sourire franc et tenace. Drôle, émouvant, intelligent, le bébé de Double Fine traite, parfois souterrainement et toujours de façon adroite, de sujets comme la différence, la dépendance, la solitude, les troubles de la personnalité et de ce que l'on est prêt à faire par amour, évidemment. "Un jeu sur l'empathie et la guérison" préviennent les développeurs. Pas de mensonge. Psychonauts 2 fait du bien. Parlez-en avec votre médecin.